
Commercialisation des requins bouledogue et tigre à La Réunion, une mesure insuffisante
A La Réunion la commercialisation des requins bouledogue et tigre est interdite par arrêté préfectoral. Il a été Introduit en 1999 sous « principe de précaution » pour suspicion d’intoxication à la ciguatéra .
Ayant perdu de son intérêt commercial, les pêcheurs se sont détournés de ces deux espèces de requin. Cette mesure est pointée du doigt comme une des causes de la prolifération des requins bouledogue et tigre à La Réunion. Les squales auraient profité d’une zone de confort où ils ont pu se reproduire sans pression humaine depuis presque 20 ans.
Un retour à la commercialisation des requins réclamé
Depuis la crise requin en 2011, le retour de la commercialisation des requins est réclamé par les associations qui œuvrent pour réduire le risque requin et les usagers de la mer. Aujourd’hui il n’existe aucune preuve de contamination par la carchatoxine des requins bouledogue et tigre à La Réunion. En 2017 une étude vient confirmer l’absence de carchatoxine chez 90 requins pêchés à La Réunion.

Tout récemment c’est Thierry Robert, ancien député et maire de Saint-Leu, qui a fait son coming-out. Il réclame, lui aussi, la commercialisation des requins. Il pointe du doigt l’économie que cette mesure pourrait rapporter en remplacement du programme CapRequins.
La Réserve Marine non opposée à commercialisation des requins
En mars 2017, lors de son conseil d’administration, le comité scientifique de la Réserve Marine déclare que « les requins bouledogue et tigre ne sont pas inféodés aux récifs coralliens […] et ne font pas partie des écosystèmes côtiers ”, dès lors, les juvéniles peuvent faire l’objet d’ « une possibilité de commercialisation ».

Les requins ne sont pas porteurs de la ciguatéra, les associations, les usagers de la mer et des élus réclament la commercialisation, la Réserve Marine ne s’y oppose pas. Tout semble indiquer que la commercialisation des requins bouledogue et tigre est en bonne voie. Cette mesure résonne comme un espoir dans la résolution de cette crise qui s’enlise depuis 2011. Pourtant dans le contexte actuel, elle est loin d’être aussi efficace que ce qu’on pourrait penser.

Le plan opérationnel de réduction du risque requin
En 2012, en réponse aux attaques qui ont touché La Réunion, l’Etat ainsi que les différents acteurs de la crise requin ont mis en place un plan opérationnel. Une stratégie multiniveaux qui comprend plusieurs mesures qui fonctionnent en synergie. La pêche est la première d’entre elles. Elle permettra d’atteindre un risque acceptable de réduction du risque requin. Regroupés au sein du CO4R qui deviendra le CRA en 2016, différents programmes et initiatives sont mis en place afin de réduire le risque requin. La résolution phare étant le programme CapRequins.

Couplé à une pêche de prévention CapRequins a pour objectif de réguler la population des requins dangereux à La Réunion. Des palangres sont déployées au large pour réduire la population de requins bouledogue et de requins tigre. Les Smart Drumlines sont disposées près des côtes. Elles permettent de capturer les individus qui représentent un risque direct pour les usagers de la mer. Ce programme s’accompagne d’autres mesures préventives telles que les Vigies Requin (plongeurs immergés et bateaux en surface), les filets de sécurisation, la signalétique des drapeaux, la remonté d’information au CROSS etc…

Pêcher du bouledogue, une affaire pas si aisée
Le requin bouledogue est très difficile à attraper. Très peu de pêcheurs étaient intéressés à rejoindre un programme qui ne serait pas aussi prolifique financièrement que la pêche commerciale.
En 2013, un pêcheur ayant participé au programme CHARC témoigne :
Avant l’intervention du Bertrand Baillif, le programme était constitué non pas de pêcheurs attirés par l’appât du gain, comme il est souvent rabâché par les opposants à la pêche, mais de pêcheurs investis dans la résolution de la crise. Certains ayant perdu un ami victime d’une attaque de requin. Loin de rouler en Mercedes, leur objectif était simple, faire en sorte de ne plus avoir à perdre, de nouveau, un de leurs proches.
Déployé graduellement depuis 2014, le programme a atteint son plein potentiel en 2016 avec une équipe de pêcheurs plus aguerrie dans la pêche d’un prédateur reconnu comme étant « malin » et très difficile à attraper. 5,6 tonnes de requin bouledogue ont été pêchées cette année, confirmant ainsi l’efficacité de l’équipe à cibler cette espèce.

Si 2016 reste l’année qui a vu le programme CapRequins à son paroxysme, 2017 sera l’année où le comité des pêches transformera ce qui était un programme de prévention très élaboré en un simple programme de pêche commerciale.
CapRequins victime d’une guerre de pouvoir au sein du Comité des Pêches
Le 13 janvier 2017, le comité des pêches change de présidence. Jean-René Enilorac laisse sa place à Bertrand Baillif qui reprend les rênes de CapRequins. Rapidement confronté à la dure réalité des exigences que demande un tel programme, celui ci sera rapidement stoppé à plusieurs reprises. La raison invoquée étant le « manque de trésorerie ». Bertrand Baillif accuse l’ancienne équipe pour sa « mauvaise gestion des fonds publics ».
Une polémique qui retombera dans l’oubli aussi vite qu’elle est apparue tant le dossier ne tenait pas la route. L’amateurisme du nouveau président du comité des pêches aura permis au programme CapRequins de fonctionner seulement pendant environ deux mois et demi jusqu’à la reprise du programme par le CRA.
Lors de sa prise de fonction, le nouveau président a de suite exprimé son souhait de révolutionner le programme. Sa principale critique étant que ce programme était jusqu’à présent réservé à un petit groupe de pêcheurs. Cette année la il prend la décision de l’ouvrir à tous les pêcheurs. C’est le début de la transformation d’un programme de prévention du risque requin en un simple programme de commercialisation au détriment de la sécurité des usagers de la mer.
Dorénavant chaque pêcheur touchera 200€ par sortie sans obligation de résultat. Il leur suffit simplement d’envoyer un SMS au Comité des Pêches. Ludovic Courtois, ancien secrétaire général du CRPMEM, dénonce l’opacité et les dérives du nouveau programme dans une interview accordée à Imaz Press:
A lire aussi: Pêche au requin : Un collectif de pêcheurs professionnels s’expriment
Le Comité des Pêches a donc ouvert la pêche au requin à tous les pêcheurs désireux d’y participer sans aucune condition requise. Ils pêchent quand ils veulent et où ils veulent. Ce qui signifie qu’un pêcheur peut très bien faire sa journée de pêche normale et décider quand il veut d’y mettre une ligne à requin. Pour cela il est rémunéré à chaque fois qu’il effectue une sortie sur simple envoi d’un SMS. Cela lui garantie une prime de 200 €. La viande est payée 10 € du kilo pour un requin bouledogue, 6 € du kilo pour un requin tigre.

C’est ainsi que 86 sorties ont été effectuées sur Sainte-Rose ayant pour résultat la capture d’un seul requin bouledogue. De plus il n’y a pas de Smart Drumlines à Sainte-Rose. On est loin du plan de réduction du risque requin élaboré par le CO4R.
Il est très difficile d’attraper du requin bouledogue. Seulement 12 ont été capturés cette année, dont 3 furent pêchés en une nuit par l’ancienne équipe de pêcheurs aguerris, contre 24 tigres. Sur 170 pêcheurs professionnels il n’y en a qu’une vingtaine qui ont exprimé le souhait d’y participer. N’ayant aucune obligation de lieu ou de zone, la traque se déroule sur les zones de pêche habituelles des marins. Au large près des DCP (dispositif de concentration de poisson). On laisse ainsi une zone de confort pour les requins au plus près de la côte… au plus près des usagers de la mer.

La commercialisation des requins, une mesure insuffisante
A la lumière de ces faits il apparaît évident que la commercialisation des requins dans ce contexte ne suffira pas. Commercialisée par tous, la viande de requin ne dépassera pas 3 ou 4 € par kilo (poisson vidé) sur le marché pour un requin dont la capturabilité est réputée difficile et non accessible au commun des pêcheurs. Une commercialisation qui attirerait peu de monde au vu de toutes ces difficultés et du peu de valeur marchande de ce requin. Cette pêche deviendrait alors anecdotique et ponctuelle.
Afin d’être efficace, la mesure autorisant la commercialisation des requins bouledogue et tigre, doit se faire en complément du programme de pêche de prévention tel qu’il a été pensé par le CO4R. Il reste le seul vrai programme viable afin de réduire le risque requin à La Réunion. Cela permettrait d’avoir des pêcheurs professionnels concentrés sur la pêche au requin bouledogue. Les autres pêcheurs pourront être rémunérés, par le biais de l’autorisation de commercialisation. Ils seraient payés sur les éventuelles captures de requin bouledogue et tigre qu’ils seraient amenés à faire durant leurs sorties.
La pêche réduit significativement le risque requin
Pour conclure, jetons un rapide coup d’œil sur ce tableau comparatif. Il montre la relation qu’il y a entre le tonnage de requin pêché à La Réunion et les attaques. En résumé, plus on pêche moins il y a d’attaque.

Aujourd’hui l’abaissement du risque requin à La Réunion passe par une commercialisation tout public en complément du programme de pêche de prévention.
Rokin La Kour

Annexe:
- Extrait du JT d’Antenne Réunion du 02 mars 2017, Suspension du programme CapRequin
- Imaz Press 08 août 2017, Plus aucun squale pêché
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